Cessons de maltraiter la terre !
Que fera-t-on demain, dans seulement quarante ans, quand la population mondiale atteindra les 9 milliards d’individus contre 7 milliards aujourd’hui ? Pourra-t-on les nourrir ? Y aura-t-il encore assez de terres arables, assez de terres labourables et cultivables pour le faire ? La question, mille fois posée, est bien souvent glissée sous le tapis. Pas de question, pas de réponse qui pourrait gêner. D’autant que les chantres des rendements dopés et sans contrainte espèrent toujours des miracles d’une technologie pour eux sans limites.
Ces belles certitudes, Daniel Nahon, ancien président du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et grand spécialiste des sols, les combat. Déjà, en février 2008, il avait alerté l’opinion sur ce thème avec un premier livre publié aux éditions Odile Jacob, L’Epuisement de la terre. L’enjeu du XXIe siècle. Voici qu’il récidive avec Sauvons l’agriculture !, où il dénonce un modèle agricole qui risque de nous envoyer dans le mur. « Une agriculture qui ne tiendrait pas compte de tout ce qu’elle peut dégrader et de tout ce qui limite son expansion conduirait rapidement à une impasse », avertit-il.
A ceux qui douteraient de son propos, Daniel Nahon oppose la froideur des chiffres. Sur les 15 milliards d’hectares de terres émergées que compte la planète, les sols, explique-t-il, ne représentent que 11,5 milliards d’hectares. Or seuls 2,5 milliards – cinquante fois la France – sont arables, et 1,6 milliard cultivés. Les plus optimistes argueront alors qu’il reste 900 millions d’hectares disponibles ! Rien pourtant ne saurait être plus trompeur car ce serait faire fi de la « maltraitance » subie par « les terres exploitées », dont 14 millions d’hectares disparaissent chaque année du fait de l’épuisement des sols, de l’érosion, de l’urbanisation et de la désertification. Et ce, sans compter les conséquences de changements climatiques qui peuvent, eux aussi, mettre la Terre à genoux.
Ravages de la chimie et de la biologie
Les exemples ne manquent pas qui, bons ou mauvais, éclairent la situation. Et, pour que les choses soient bien comprises, Daniel Nahon puise dans le présent comme dans le passé, dans l’agriculture de subsistance comme dans celle ultra-mécanisée des pays les plus riches, dans les promesses et les ravages de la chimie et de la biologie, dans les rapports d’experts et l’expérience des plus démunis. Tout cela milite pour un changement de nos comportements. Avec des recettes simples. Respecter les sols. Ne plus les considérer « comme une boîte chimique » dans laquelle « on perfuse des produits nocifs ». Choisir et sélectionner les espèces végétales en fonction des besoins et non de « rendements miraculeux ». Avoir une gestion raisonnée des ressources en eau. Changer nos habitudes alimentaires, etc.
Alors, à ceux, en « état de grâce », qui clament – et c’est en partie vrai – que le monde est aujourd’hui mieux nourri, Daniel Nahon rappelle qu’ils se bercent d’une « double illusion ». Celle de croire que les ressources qui font la richesse de l’agriculture sont infinies et non vivantes et celle de penser qu’on ne manquera jamais de nourriture. Car vouloir demain « parvenir partout à une autosuffisance alimentaire » sera pour l’écosystème « une pure folie (…) fatale pour les sols, l’eau des nappes et la biodiversité de certains pays arides ou semi-arides ». Aussi l’auteur invite-t-il le monde politique, industriel et agricole à s’orienter vers des solutions scientifiques et solidaires. Regardez sous vos pieds, leur dit-il, « ce qui est la richesse du monde : l’eau, le sol et la vie foisonnante », et protégez cette mince, précieuse et très fragile couche de glèbe dont on oublie trop qu’elle met des millénaires à se régénérer.
Jean-François Augereau ( source Le Monde )